Les différentes facettes de l’amour
Un dialogue entre Gottfried l’oiseau et Baruch le héron. Gottfried pense que chaque être est indépendant mais fait partie d’un ensemble logique et harmonieux que le chant fait deviner. Baruch passe beaucoup de temps immobile et cela lui permet de comprendre que chacun est unique et particulier mais pourtant en relation avec les autres et l’univers.
Gottfried: Baruch, vous êtes revenu, je suis bien content de vous voir.
Baruch: vous me faites plaisir, Gottfried, et j’ai justement besoin de réconfort.
Gottfried: que se passe-t-il?
Baruch: j’ai rencontré quelqu’un là-bas, dans le sud.
Gottfried: mais c’est magnifique, pourquoi êtes-vous triste?
Baruch: je ne sais pas si elle va venir ici.
Gottfried: alors pourquoi l’avez-vous quittée?
Baruch: ah, je n’en suis pas encore tout à fait sûr mais il me semblait que c’était nécessaire. Par ailleurs, je n’aime pas le sud en été, il y fait trop chaud et trop humide.
Gottfried: et elle, que pense-t-elle du nord?
Baruch: eh bien elle ne l’aime guère, elle est frileuse.
Gottfried: s’il s’agit du vrai amour, vous avez trouvé la moitié qui vous rend chacun un donc l’un manquant maintenant à l’autre et vice-versa, vous ferez tout pour vous retrouver.
Baruch: oui, cela semble évident mais un amour même vrai ne peut se nourrir que de lui-même. Il lui faut d’autres horizons qui vont le nourrir. Je ne veux pas ne plus venir dans le domaine car j’aime aussi cet endroit et ses habitants, vous y compris bien que vous vous moquiez souvent de moi. C’est bien pour cela qu’il est certain aussi qu’il n’y a pas de douleur sans amour car quand la cause extérieure qui l’a provoqué disparait ou s’absente, le malheur apparait.
Gottfried: ah Baruch, vous voila devenu bien sentimental tout à coup mais vous avez raison, aimer n’est jamais simple. C’est prendre du plaisir dans la perfection de l’autre et son bonheur donc cela apporte la crainte que cela puisse disparaître. Ce que vous devez retenir cependant, c’est que vous avez trouvé celle qui éveille à nouveau ce sentiment en vous. Profitez-en au lieu d’en être attristé.
Baruch: il se peut que j’ai voulu la quitter pour tester ce sentiment en moi et lui donner l’occasion de tester le sien en elle. Tester aussi ce sentiment que j’ai pour le domaine et elle pour son lieu d’origine. Les amours prennent beaucoup de formes même si l’un l’emporte finalement sur les autres.
Gottfried: vous êtes sage et vous ne devez pas douter de vos qualités qui ont fait naître ce sentiment d’amour en elle et qui font que je me moque de vous parce que je vous aime bien moi aussi.
Baruch: il me semble que je le sais mais avez-vous remarqué comme on a souvent besoin de confirmation et que l’on va la chercher auprès de ceux dont on croit qu’ils vont nous la donner?
Gottfried: j’ai donc bien fait de vous répondre comme je l’ai fait! Pensez-vous que votre amour est un amour de bienveillance qui vous fait aimer le plaisir de l’autre ou un amour de concupiscence qui s’apparente au désir du plaisir que l’autre vous apporte?
Baruch: les deux ne sont-ils pas toujours un peu liés?
Gottfried: le premier importe plus que le second car le désir n’est pas suffisant dans la mesure où une fois satisfait, il disparait.
Baruch: puis revient mais je vous l’accorde, sans sentiment de bienveillance, ne serait-ce que par nécessité égoïste de préserver cette moitié qui nous fait entier, l’amour est un leurre.
Gottfried: donc pour Baruche, que comptez-vous faire?
Baruch: je veux d’abord la persuader de venir me rejoindre car elle ne sait pas qu’ici en été, il fait moins froid qu’elle ne le pense et que surtout, mes amis pourraient être les siens. Ensuite, nous verrons.
Gottfried: vous lui avez dit tout cela?
Baruch: oui, bien sûr, elle m’a même poussé à partir mais elle ne m’a rien promis.
Gottfried: elle réfléchit. La gens féminine a besoin de temps pour se décider mais qu’elle vous ai poussé semble montrer qu’elle a votre bien à coeur. Elle voulait dans ce cas moins se débarrasser de vous que vous voir heureux, quitte à en souffrir si vraiment elle vous aime. Ne vous semble-t-il pas que vos deux décisions se complètent?
Baruch: vous me rassurez beaucoup cher Gottfried. Parleriez-vous en connaissance de cause?
Gottfried: des semaines et des semaines m’ont été nécessaires pour conquérir Oiselle. J’ai cru que j’en perdrais ma voix. Elle m’écoutait et ne me repoussait point mais me laissait aussi aller ailleurs.
Baruch: vous me conseillez donc patience et persévérance?
Gottfried: n’est pas ce qui vous définit? Ce devrait être facile.
Baruch: c’est facile pour attraper les poisons mais Baruche, c’est différent, elle me trouble et me fait perdre la tête.
Gottfried: alors profitez-en, ça faisait longtemps que vous n’aviez pas été troublé, non?
Baruch: oui, c’est vrai, mais je ne suis pas sûr d’être si sage que vous en ce moment.
Gottfried: être sage et amoureux, ça ne va guère ensemble.
Analyse
Comment peut-on définir l’amour?
Pour Baruch, c’est une joie occasionnée par l’existence de l’autre mais parce que l’autre peut changer ou disparaître, c’est aussi une inquiétude qui fait souffrir. A cause de l’égoïsme toujours latent dans l’amour, il doit être testé par des épreuves et du temps pour en vérifier et en assurer la qualité.
Pour Gottfried, c’est la rencontre de la moitié qui nous manquait mais il y a deux sortes d’amour: un qui s’apparente au désir car l’autre est vu comme une source de plaisir et un qui s’apparente à la bonté car l’autre est vu comme quelqu’un à qui on veut du bien. Seul le dernier est véritable car il est le seul qui peut durer quand le désir disparait.
Questions possibles
L’amour est-il toujours égoïste, même dans le sacrifice?
Peut-on aimer l’autre sans s’aimer soi-même?
Pour finir
Envie de réflexion un peu plus poussée? Voyez, par exemple, Le banquet, un dialogue à plusieurs voix qui permet à Platon d’explorer la nature et les bienfaits de l’amour.
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