La beauté est-elle un atout?
Un dialogue entre Socrates le bâton et Emilies les baies bleues. Socrates sait qu’il ne sait rien et cela le conduit à poser de nombreuses questions. Il examine ensuite attentivement les réponses. Les Emilies pensent que la vie en société introduit des jugements de valeur souvent néfastes aux aspirations simples et naturelles des êtres et que le bonheur est pourtant dépendant des autres.
Socrates: mesdames les Baies Bleues, vous qui êtes si jolies, la beauté est-elle un atout pour vous?
Emilies: détrompez-vous, monsieur Bâton, c’est surtout un fardeau qui nous éloigne de notre état naturel.
Socrates : je ne vous comprends pas. N’êtes-vous pas belles à votre état naturel ?
Emilies : la notion de beauté est un jugement de valeur propre à la vie en groupe. A l’état naturel et comme chaque créature, nous voulons être aimées, nous reproduire et prospèrer mais parce qu’on nous a pensé jolies et qu’on nous l’a dit, cette beauté qu’il nous a fallu assumer nous a enfermé dans une définition réductrice; elle a introduit des différences, des comparaisons, des hiérarchies.
Socrates : vous voulez dire que votre beauté a éloigné ceux qui vous regardent de la vérité de ce que vous êtes et vous a obligé à maintenir la fiction de votre apparence?
Emilies : oui et nous nous sommes en plus rendues compte qu’il ne servait à rien d’être jolies si ceux pour qui nous nous étions préparés ne nous voyaient pas précisément à cause de cela.
Socrates: que voulez-vous dire, ne vous voyaient pas? Qui pourrait ne pas vous admirer et vous désirer?
Emilies: les oiseaux, cher Socrates, les oiseaux qui nous ont ignoré. Tout le printemps et tout l’été nous nous sommes préparées pour eux, nous avons évité les parasites et la grêle et les coups du sort afin d’arriver à ce bleu luisant qui nous va si bien sur le fond jaune des feuilles, mais ils ne sont pas venus vers nous. Ils sont passés là-haut dans le ciel sans même nous regarder. Nous avons perdu notre temps à nous faire belles et nous avons aussi perdu ce qui à l’intérieur de nous faisait notre attrait principal.
Socrates : votre saveur particulière, c’est ça? Les oiseaux ont donc vu une apparence qui ne les satisfaisait pas?
Emilies : comment expliquer autrement leur attitude? Nous avions pensé que notre beauté serait un signe pour mieux les attirer mais elle leur a donné une fausse impression de nous.
Socrates: ils sont donc finalement passés à côté de l’essentiel qu’ils cherchaient. N’y a-t-il rien que vous puissiez faire?
Emilies: il y a longtemps, nous savions les appeler dans leur langue mais quand Niccolò a déclenché la chute, la parole nous a été ôtée. Depuis, nous n’avons plus que les couleurs pour nous faire désirer mais nous voyons bien maintenant que cela ne nous représente pas correctement.
Socrates: pourtant, je vous cueillerais volontiers pour égayer ma maison alors ce n’est pas tout à fait exact de dire que la beauté n’est pas un atout. C’est une qualité que chacun recherche et qui attire. Elle forme le goût et vous ne désireriez sans doute pas être laides même si vous ne plaisez pas à tous…
Emilies: oui, c’est certain, mais n’y a-t-il pas une alternative qui permettrait à chacun de mieux vivre?
Socrates: passer inaperçues? Cela ne vous a pas plu quand les oiseaux ne vous ont pas vues alors que proposez-vous d’autre? La beauté est un jugement de l’esprit qui permet de faire des choix et d’établir des catégories. Quand ce jugement s’applique à vous, il vous enferme mais il vous aide aussi à vous développer. Il développe également celui qui le porte car il l’aide à prendre conscience de ce qu’il aime ou pas.
Emilies: nous sommes donc des modèles?!
Socrates: au même titre que chacun de nous mais avec vos qualités propres. Vous aviez en tout cas raison de vous faire belles même si cela ne vous a pas permis d’atteindre comme vous le pensiez les buts que vous visiez. Vous êtes devenues ce que vous êtes et avez influencé les autres. Et il se peut que vos attentes n’aient pas été les bonnes.
Emilies: ne nous dites pas que notre beauté vous était destinée!
Socrates: pourtant quand je vous vois, je sais mieux ce que j’aime parce que votre beauté me parle et me donne envie de vous emporter. Elle me grandit et me rend heureux. Sans elle et sans vous, je ne saurais pas ce qu’est le beau pour moi.
Emilies: si c’est le cas, elle nous aidera aussi car vous nous permettrez de coloniser de nouvelles terres bien que de façon inattendue. Or c’est ce que nous voulons avant tout…
Socrates: vous voyez, parce que la beauté fait agir celui qui la contemple et y est sensible, elle peut apporter des bénéfices à celui ou celle qui la possède. Mais comme vous l’avez constaté, elle ne parle pas à tous et ne vous donne donc pas ce que vous cherchez comme vous le pensiez.
Emilies: alors cher Socrates, emportez-nous tant que notre beauté vous plait!
Socrates: c’est ce que je fais et je dis merci à ces oiseaux qui vous ont délaissés.
Analyse
Pour les Emilies, la beauté est un fardeau qui les enferme dans une situation qui ne correspond pas à leurs attentes car elles pensent qu’elle met en avant une apparence qui ne correspond pas à leur réalité.
Socrates va leur montrer que c’est un atout qui leur permet d’être remarquées et d’avoir ainsi la possibilité d’atteindre leurs buts même si le chemin n’est pas forcément celui imaginé. La beauté est un moyen de mieux se connaître autant pour celui qui la contemple et y est sensible que pour celui qui la possède et l’entretient.
Discussions possibles
Comment est définie la beauté?
Pourquoi dit-on souvent que la nature est belle?
Pour finir
Envie de réflexion un peu plus poussée? Voyez, par exemple, Le discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes où Rousseau explique comment la société corrompt l’individu.
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