Un échange amical à propos de l’harmonie
Un dialogue entre Baruch le héron et Gottfried l’oiseau. Baruch passe beaucoup de temps immobile et cela lui permet de comprendre que chacun est unique et particulier mais pourtant en relation avec les autres et l’univers. Gottfried pense que chaque être est indépendant mais fait partie d’un ensemble logique et harmonieux que le chant fait deviner.
Baruch: Gottfried, j’ai trouvé un moyen d’avoir du poisson comme vous des graines!
Gottfried: pas en chantant tout de même!
Baruch: vous vous moquez, je le vois bien mais non, pas en chantant, en parlant.
Gottfried: en parlant? Mais à qui?
Baruch: à Socrates bien sûr! Vous savez qu’il me pose souvent des questions, eh bien il m’a promis de m’apporter du poisson pour me remercier des conseils que je lui donne.
Gottfried: c’est vrai, je reconnais que ce que vous dites est souvent sage. C’est sans doute votre façon à vous de partager et de faire toucher l’harmonie du monde.
Baruch: oh, je n’en fais pas une théorie, je lui dit juste ce que je ressens.
Gottfried: c’est vrai, vous ne croyez pas en un être organisateur dont nous pourrions percer les secrets. Je me demande donc comment vous pouvez expliquer l’existence de l’harmonie s’il n’y a pas de transcendance. En tout cas, bien joué, vous voila tranquille pour l’hiver!
Baruch: cher Gottfried, vous imaginez une raison supérieure au monde quand il est bien plus simple de penser qu’elle est le monde lui-même dont nous sommes des attributs. C’est ce qui nous permet de le comprendre par participation. Car sinon, comment pourrions nous concevoir quelque chose qui nous dépasse?
Gottfried: par intuition, cher Baruch. Vous devinez que le bruit de la vague est composé du bruit de chaque gouttelettes d’eau qui la compose et qu’il a donc bien fallu un grand organisateur pour accorder tout cela.
Baruch: pour moi, je suis la gouttelette et je sais où je me situe dans l’ensemble du monde. Vous, vous pensez être un auditeur externe. Je participe, vous analysez.
Gottfried: que vous exprimiez clairement nos différences ne prouve pas que vous ayez raison. La connaissance que nous avons est finie mais elle peut s’agrandir par l’exercice de la raison. Or votre mysticisme vous empêche de questionner, ne croyez-vous pas?
Baruch: il me suffit de savoir comment être heureux car c’est cela qui m’importe et qui m’incite à vivre. Pourquoi vouloir plus? N’est-ce pas d’ailleurs ce que vous affirmez quand vous dites que chanter vous fait toucher l’harmonie du monde?
Gottfried: ah, cher Baruch, vous croyez marquer un point ici mais que cette harmonie soit discernible directement et un plaisir ne l’empêche pas d’être ensuite analysée. Si nous n’y avions pas accés, comment pourrions-nous seulement penser l’examiner?
Baruch: pour moi, y avoir accés suffit car l’examiner, c’est la décomposer et la détruire. Quoiqu’il en soit, discuter avec vous est une source de joie et c’est cela que je veux cultiver plutôt que la recherche de causes et effets qui importent peu à mon bien-être.
Gottfried: et à propos de bien-être, Socrates va vous l’apporter tout l’hiver.
Baruch: oh, je ne me vois pas rester planté ici devant un lac gelé même si le poisson me vient seul. Je vais bientôt partir dans le sud.
Gottfried: dans votre héronnière de vacances? Vous avez de la chance! Vous me manquerez.
Baruch: je reviendrai, Gottfried, et nous reprendrons nos conversations. En attendant, votre vie est belle aussi ici en hiver avec tout ce que vous picorez au manoir.
Gottfried: picorez! C’est vous qui vous moquez maintenant! Je ne suis pas une poule. Et ne croyez-vous pas que quand les humains oublient de remplir la mangeoire, j’aimerais être dans un climat plus doux pour trouver plus facilement à me nourrir?
Baruch: c’est vrai, je n’avais pas pensé à cela! Pourquoi ne viendriez-vous pas avec moi?
Gottfried: je ne peux pas, je ne suis pas équipé pour voler si loin et si longtemps. En plus de nos différences d’opinion, nous avons chacun nos limitations physiques. Vous le chant, moi le vol. Mais dites-moi, vous avez une copine là-bas?
Baruch: non, vous savez bien que je vis seul depuis l’accident.
Gottfried: vous allez peut-être rencontrer une héronne aussi sauvage et érudite que vous…
Baruch: oh, je ne crois pas, c’est un endroit assez isolé.
Gottfried: qui sait, Baruch, qui sait? En tout cas, je vous souhaite un bon voyage et un bon séjour. N’oubliez pas de donner de vos nouvelles.
Analyse
Baruch et Gottfried sont d’accord pour dire que le monde est harmonieusement organisé mais ils ne s’accordent pas sur les raisons de cette harmonie.
Pour Baruch, elle est incluse dans la nature même des choses et nous y participons sans pouvoir la comprendre ni avoir besoin de la comprendre. Son approche est celle d’un mystique.
Pour Gottfried, l’harmonie du monde est le fait d’un être organisateur qui a tout prévu. Elle peut se contempler, être analysée et comprise et cela nous rapproche de celui qui la créée. Son approche est plus celle d’un scientifique.
Discussions possibles
Faut-il comprendre pour aimer?
Les fausses notes remettent-elles en cause l’idée d’harmonie?
Pour finir
Envie de réflexion un peu plus poussée? Voyez Le bonheur avec Spinoza où Bruno Juliani explique L’éthique de Spinoza avec du vocabulaire adapté à des lecteurs du 21ième siècle.
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