Entre existence et essence
Un dialogue entre Simones les baies vertes et Aurélius l’ange. Les Simones affirment que la féminité est une condition imposée par l’histoire et la société et remettent en cause les rôles traditionnels. Aurelius se veut le gardien de la pensée judéo-chrétienne classique tout en restant attentif et compatissant.
Simones: Aurelius, posez-vous un peu par ici, nous voudrions vous demander quelque chose…
Aurelius: alors faites vite, j’ai une âme en peine à aller conseiller et j’ai bien peur qu’elle ne succombe au mal si je tarde trop.
Simones: eh bien justement, cela a un rapport avec ce dont nous voulons vous parler. Pourquoi vous sentez-vous obligé d’aller aider cette créature en peine? Ne croyez-vous pas que vous ne faites que suivre un script écrit pour vous parce que vous êtes un ange et que par définition, un ange aide les autres? Et que même si vous vous rebelliez, vous seriez encore un ange, bien qu’un ange rebelle. Votre essence aurait toujours le dessus. Pour nous, nous nous demandons, entre existence et essence, qui est vraiment premier? Nous avons l’impression que nous sommes déterminées à développer notre nature féminine parce que nous sommes nées ainsi si bien que notre existence n’est pas libre.
Aurelius: mais quelles questions, Simones! Dieu vous a créées libres de vos choix. Vous avez certes une nature, ou une essence si vous préférez le terme, mais vos actions, vous pouvez en décidez afin de choisir entre le bien et le mal. Ce sont elles qui définissent qui vous êtes, pas le contraire.
Simones: si vous affirmez que nous sommes créées libres, ne voyez-vous pas que c’est un paradoxe? Cela signifie que nous sommes condamnées à choisir donc nous ne sommes pas vraiment libres. Notre nature nous pousse à choisir et il n’y a pas le choix.
Aurelius: mais ce sont vos actions qui révèlent qui vous êtes et vous devez bien en décider, n’êtes-vous pas d’accord? Votre essence est juste un potentiel qu’il vous faut faire fructifier et si vous faites les bons choix, vous serez heureuses car proche de votre nature.
Simones: c’est bien cela, notre essence nous enferme dans un rôle. Ainsi, parce que nous sommes d’une nature féminine, nous devons agir selon un mode déterminé. Nos actions qui sont censées nous donner une identité ne font en fait que mettre à jour celle qui existe déjà au départ. Nous sommes donc toujours influencées par ce qui a précédé. Nous avons tous et toutes un rôle que nous devons tenir et que nous détestons parfois.
Aurelius: là, je vous arrête mes jolies, j’aime ce que je fais et je ne peux pas ne pas l’aimer.
Simones: eh bien justement, c’est ce que nous voulons dire, vous ne pouvez pas être différent de ce que vous êtes. Dans votre cas, il se peut que cela vous convienne…
Aurelius: mais oui, cela me va parfaitement car être heureux, c’est justement accepter sa nature et l’accomplir.
Simones:… mais pour d’autres qui se trouvent imparfaits ou méchants ou qui aimeraient expérimenter des identités nouvelles, ils ne peuvent rien changer. Ils en souffrent et c’est comme si cette souffrance les renforçait dans leur méchanceté ou leur désir insatisfait d’être différents.
Aurelius: allons, que dites-vous là, la rédemption est offerte à tous! Dieu n’a pas créé de méchantes créatures mais elles le sont devenues et peuvent donc changer. C’est leur manque de foi dans leur capacité à s’améliorer qui les aigrit, pas leur essence.
Simones: Aurelius, votre obstination à garder des réponses toutes faites est aussi votre réponse car le manque de foi dont vous parlez pourrait être partie tenante de qui ces créatures sont. Cela prouverait bien qu’on ne peut pas échapper à son destin. Nos actions nous définissent dans l’existence mais elles sont pourtant définies à priori par notre essence.
Aurelius: alors pourquoi m’avez-vous posé ces questions si vous pensez connaître la réponse ?
Simones: vous êtes censé être au courant des desseins divins, nous pensions que vous auriez pu mieux nous éclairer là-dessus.
Aurelius: poser ce genre de questions, c’est vouloir en savoir plus qu’il n’est nécessaire, chère Simones. Je vous conseille d’accepter qui vous êtes et je vous rappelle que croire que Dieu aurait créé des créatures dénuées de foi, c’est une hérésie. Comment pouraient-elles choisir, cela n’a pas de sens.
Simones (entre elles): il ne nous dira rien, ce n’est pas la peine. (A Aurelius): Bon, d’accord, Aurelius, nous ne vous retenons pas plus, passez une bonne journée.
Aurelius: vous aussi, mes amies, souvenez-vous que votre générosité fait votre charme et gardez-la, c’est le principal.
Simones (entre elles): pour un ange, il n’est pas très fin, nous aurions du demander à Baruch.
Aurelius (à lui-même) : je vais prier pour elles ; si elles n’écoutent plus leur cœur, elles deviendront de plus en plus incertaines de ce qu’elles doivent faire et seront malheureuses.
Analyse
Simones et Aurelius parlent d’existence et d’essence pour savoir si les actions déterminent la personnalité ou si la personnalité détermine les actions. Par derrière, il s’agit aussi de savoir si la liberté existe ou si elle est une illusion.
Les Simones affirment que pour agir, il faut d’abord être et qu’on est toujours déterminé par des circonstances extérieures. Il s’ensuit que les actions ne sont pas libres et que les pensées sont dépendantes du contexte dans lequel on vit. Agir donne l’illusion d’être libre quand on ne veut ou qu’on ne peut pas voir tous les déterministes qui sont à l’oeuvre. C’est ce qui provoque leur frustation.
Aurelius, lui, se place du point de vue du croyant qui affirme que le monde est créé au mieux. Par ailleurs, si l’essence précède effectivement l’existence (il faut d’abord être pour pouvoir agir), les choix libres, inscrits dans la nature des choses, sont vraiment ce qui permet à l’être de se définir dans son existence. Il ne faut donc pas essayer de deviner et de comprendre la complexité du monde car cette ignorance est ce qui permet la liberté.
Discussions possibles
Comment le contexte détermine ce que nous sommes et comment ce que nous sommes détermine le contexte?
Le bonheur consiste-t-il à trouver comment nous accorder au mieux avec notre destinée?
Pour finir
Envie de réflexion un peu plus poussée? Voyez L’existentialisme est un humanisme où Sartre pose que nos actions déterminent qui nous sommes et non le contraire.
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